La compliance : nouvelle discipline de la vie associative sportive française

Par Rodolphe Brun d’Arre - Le 7 décembre 2023, le Comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique, initiée par la ministre des sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Madame Amélie Oudéa-Castéra, a publié un rapport intitulé « pour un sport plus démocratique, plus éthique et plus protecteur ».

 

Même si l’année 2024 s’annonce comme une année majeure pour le sport français ce rapport n’a pas été commandité dans le cadre de l’organisation des Jeux olympiques en France puisqu’il a été initié « à la suite de défaillance qui ont marqué l’actualité et des difficultés traversées ces derniers mois par les actrices et les acteurs du sport »[1].

 

Si le rapport ne fait pas directement état des évènements à l’origine de ces travaux, il semble que ces défaillances seront plus longuement exposées dans un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances dans le mouvement sportif français, initialement attendu le 16 janvier 2024 mais dont la publication a été reportée en raison de l’actualité politique de ces derniers jours[2].

 

En attendant de comprendre en détails l’ensemble des défaillances mentionnées, le Comité pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique a conduit des travaux dont l’objectif est de mener une réflexion sur le renforcement des institutions sportives françaises.

 

Le Comité a organisé ses travaux autour de trois axes :

 

·      bâtir une gouvernance du sport plus éthique ;

·      rénover la vitalité démocratique au sein des instances ;

·      renforcer la protection des pratiquantes et des pratiquants, notamment contre toutes les formes de violence et de discrimination.

 

A l’issue d’une réflexion menée pendant près de huit mois, ponctuée d’auditions de personnalités du monde du sport, le Comité a rendu un rapport qui formule 37 propositions. Après examen de l’ensemble de ces propositions, on observe que le rapport, afin de remédier aux dysfonctionnements qu’il évoque, reprend des pratiques de conformité déjà existantes au sein de grands groupes français (et internationaux) afin de les transposer au monde associatif sportif français.

 

Le rapport propose de repenser les principes forts de gouvernance générale des fédérations sportives afin d’en renforcer la vie et les jalons démocratiques (1) puis présente une révision de l’architecture nationale de la prévention et de la protection de l’éthique du sport français (2) avant enfin de préconiser le renforcement des moyens d’action en faveur d’une plus grande protection des pratiquants (3).

 

 

 

1.     Repenser les principes forts de la gouvernance générale des fédérations sportives

 

La première partie du rapport du Comité propose des nouveautés dans l’organisation de la gouvernance générale des fédérations sportives afin d’en renforcer la vie et les jalons démocratiques.

 

Le Comité propose notamment :

 

·      De prévoir que tous les clubs, membres d’une fédération sportive, participent aux élections et à toutes les autres assemblées générales (non pas uniquement les AG électives). La mise en œuvre de cette proposition pourrait être facilitée par la création d’outils numériques mutualisés (…) ;

 

·      Des consultations plus régulières des clubs par les instances exécutives fédérales sur des sujets d’intérêt général en dehors des assemblées générales ;

 

·      Mise en place d’un scrutin proportionnel afin d’améliorer la représentation des différents courants au sein des instances des fédérations ;

 

·      Limiter les possibilités de cumul simultané entre les fonctions de membre d’un organe exécutif fédéral et de président d’un organe déconcentré de la fédération ;

 

·      Conditionner l’octroi d’aides publiques au suivi d’une formation, par le président ou les représentants légaux, portant notamment sur la lutte contre les violences et les discriminations ou les questions de probité (mais également sur le changement climatique) ;

 

·      Favoriser le renouvellement des instances en limitant strictement la durée des mandats ;

 

·      Renforcer la transparence financière des fédérations ;

 

·      Encourager les actions de contrôle interne ;

 

·      Renforcer les mécanismes d’alerte et créer un dispositif d’alerte unifié de signalement anticorruption.

 

L’objectif de ces recommandations est de redynamiser la vie fédérale et d’accorder aux pratiquants plus de place dans la prise de décision par les instances dirigeantes qui paraissent éloignées de la réalité et du quotidien des sportifs.

 

Aussi, le Comité a repris des outils de gouvernance et de compliance déjà existants dans des grands groupes français afin de les appliquer au modèle des fédérations et des mouvements sportifs.

 

En effet, plusieurs de ces recommandations font directement référence à des mesures de gouvernance ou recommandations existantes en compliance.

 

On pense notamment à la recommandation visant à encourager les actions du contrôle interne qui prend ses racines dans l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence à la lutte contre la corruption (dit Sapin 2)[3] qui impose aux assujettis la mise en place d’un dispositif de « procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence ».

 

Le renforcement des mécanismes d’alerte, afin de protéger les témoignages des victimes en créant notamment un dispositif d’alerte unifié, fait également directement référence à l’article 17 de loi Sapin 2 et aux recommandations de l’AFA qui imposent la mise en place d’ « un dispositif d'alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d'employés et relatifs à l'existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ».

 

Les préconisations de formation des dirigeants aux risques éthiques (particulièrement s’agissant de la discrimination, de la violence physique ou morale) font également référence aux obligations de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 qui imposent que les instances dirigeantes et plus largement l’ensemble des salariés exposés au risque de corruption soient formées.

 

Le rapport du Comité reprend donc des outils et bonnes pratiques imposées par la loi Sapin 2 mises en place par les sociétés françaises afin de les transposer aux fédérations et au mouvement sportif.

 

Ainsi, on voit que les principes de conformité et de bonnes pratiques ont véritablement infusé dans notre vie économique et sociale. Dans l’hypothèse où le législateur s’emparerait de ce rapport afin qu’il en soit le socle d’une prochaine réglementation légale ou règlementaire (ce qui est proposé dans le rapport[4]), les acteurs du monde du sport se trouveraient à appliquer directement certaines obligations imposées par la loi Sapin 2 alors même que ces acteurs n’y sont pas formellement assujettis.

 

Les solutions proposées par le rapport du Comité font également échos aux recommandations présentes dans le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées (dit Code Afep-Medef) ou le Code de gouvernance Middlenext. On y retrouve par exemple les mêmes thèmes qui conduisent les entreprises à mettre en place des processus visant à améliorer leur gouvernance. Par exemple, la recommandation relative à la transparence financière des fédérations ou encore la question importante du renouvellement des mandats des dirigeants d’instance sont des points traités dans les Codes de gouvernance.

 

Ainsi, on observe que le Comité s’est inspiré, lors de ces travaux, des bonnes pratiques existantes dans d’autres secteurs (et notamment le monde de l’entreprise) afin de formuler des observations sur les modes de gouvernance des instances sportives françaises.

 

Cependant, le rapport n’évoque presque pas le coût des mesures qu’il préconise. En effet, si certaines recommandations semblent faciles à implémenter, d’autres mesures pourront être couteuses et techniques à mettre en place. On aurait aimé de ce rapport qu’il prenne en considération les moyens financiers à disposition des autres acteurs du sport pour proposer les outils les plus adaptés à son organisation.

 

Enfin, il convient de relever que ces recommandations, même si elles n’ont pas de valeur normative, pourront servir de point de départ à un projet de loi à l’initiative du gouvernement.

 

2.     La révision générale de l’architecture nationale de la prévention et de la protection de l’éthique du sport français : le CNOSF comme autorité de régulation

 

Le Comité souhaite ainsi que l’organisation de la prévention et de la lutte contre les atteintes à l’éthique soit réformée à deux échelles : d’une part garantir l’indépendance des comités éthique fédéraux et d’autre part, la mise en place d’un dispositif éthique efficace au sein des fédérations.

 

Afin de garantir l’indépendance effective des comités d’éthique fédéraux, le rapport propose de renforcer leurs prérogatives. Pour autant, compte tenu du nombre et de l’hétérogénéité des fédérations, notamment en termes de moyens, toutes ne sont pas à même de mettre en place individuellement un dispositif indépendant et efficace dans le domaine de l’éthique. Pour pallier ces difficultés financières, le rapport fait peser sur le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) la responsabilité d’intégrer un comité éthique dans son organisation.

 

En effet, tout au long de la présentation de cette deuxième partie, nous comprenons que le rapport entend accorder un rôle central au CNOSF en l’invitant à « assumer pleinement sa position et sa fonction de représentant du mouvement sportif et agir en la matière de manière ferme et résolue »[5] et en préconisant la mise en place d’un comité d’éthique du mouvement sportif français au sein du CNOSF.

 

Cette entité pourrait donc superviser l’action des comités fédéraux et le cas échéant aux défaillances et limites des fédérations.

 

Autrement dit, le rapport souhaite attribuer au CNOSF, après lui avoir reproché de n’avoir presque jamais pris de position susceptible de mettre en cause l’action d’un dirigeant fédéral, le rôle d’une structure centrale qui supporterait les fédérations dans la mise en œuvre des principes éthiques en jouant un rôle de régulateur.

 

Le CNOSF se trouverait investi d’une double mission : diffuser aux acteurs les bonnes pratiques et sanctionner les manquements des acteurs. Le Comité propose donc au CNOSF un rôle de régulateur qui fait notamment penser aux missions d’autres autorités comme l’Agence Française Anti-corruption (AFA) pour la conformité anti-corruption, ou l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour la conformité relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB/FT) dans le secteur bancaire.

 

Le rapport adopte une position alternativement critique et ambitieuse à l’égard du CNOSF en l’invitant à se saisir des problématiques d’éthique de façon plus engagée, à la fois sur ses prises de positions publiques mais également dans la mise en œuvre des principes éthiques au sein des fédérations.

 

Enfin, il a été par ailleurs précisé l’importance de consolider les prérogatives des comités fédéraux afin de les doter d’un pouvoir d’auto-saisine et de leur octroyer un pouvoir de décision contraignant.

 

3.     Renforcer les moyens d’action en faveur d’une plus grande protection des pratiquants

 

Dans cette troisième et dernière partie du rapport, le Comité rappelle la nécessité, afin de limiter au maximum les risques induit par la pratique du sport, d’adopter une logique de prévention de ces risques.

 

Cette logique de prévention du risque irrigue les règlementations liées à la conformité (LCB/FT ou anti-corruption) consistant à mettre à la charge des entreprises des procédures visant à prévenir la survenance de ce risque.

 

A cet égard, le Comité identifie deux grands risques dans le cadre de la pratique sportive associative :

 

·      Les violences (sexistes et sexuelles ou tout autre forme de maltraitance notamment morale) ;

·      Les discriminations.

 

S’agissant des violences, le rapport suggère de mettre en place dans chaque région, une structure d’accompagnement et de soutien dans le domaine de la santé physique et psychologique des sportifs et des sportives en réactivant le réseau des « Antennes médicales de Prévention du Dopage » (AMD)[6].

 

S’agissant des discriminations, le Comité suggère d’engager de manière systématique une procédure disciplinaire en cas de constatation d’une discrimination à tous les niveaux de pratique et recourir à l’édiction de peines complémentaires éducatives.

 

Afin de prévenir ces deux risques, le Comité souligne un « besoin très fort en formation aux enjeux éthiques, d’intégrité, de sensibilisation à la lutte contre les violences, et de luttes active contre les discriminations ». Il propose la création d’un institut de formation dédié à ces risques à destination des dirigeants des fédérations sportives. Là encore, nous retrouvons un thème central de la compliance, la prévention de la survenance d’un risque par la formation.


[1] Rapport remis le 7 décembre 2023 à Amélie OUDÉA-CASTÉRA, Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques par le Comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, p.5.

[2] https://www.ouest-france.fr/sport/la-presentation-du-rapport-de-la-commission-denquete-sur-les-federations-du-sport-francais-reportee-9e7c74ce-b3d0-11ee-889e-f4c642b1c23a

[3] LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[4] En préambule, le Comité propose l’élaboration d’un projet de loi-cadre relative au sport reprenant les trois axes de travail du Comité afin que le Gouvernement, à l’issue d’une consultation élargie des acteurs et des élus locaux du sport, puisse porter ce projet de loi.

[5] Rapport remis le 7 décembre 2023 à Amélie OUDÉA-CASTÉRA, Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques par le Comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, p.5.

[6] Structure mise en place par un établissement de santé afin de mettre en œuvre des consultations spécialisées et des actions de prévention en matière de dopage à destination des sportifs.

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