Analyse des recommandations du rapport d’enquête de la commission relative aux défaillances des instances sportives françaises

Par Valentin Barbault - Le 23 janvier 2024, la commission d’enquête parlementaire relative à « l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public » publiait son rapport contenant notamment 62 recommandations.

 

Ces recommandations s’inscrivent dans un mouvement de renforcement de l’éthique sportive entrepris il y a près d’une quinzaine d’années à différentes échelles. À l’international d’abord, l’Office des Nations Unies contre les Drogues et le Crime (ONUDC) a été et est particulièrement actif dans la production de recommandations en matière de gouvernance sportive et de prévention du risque pénal au sein des organisations sportives[1]. À l’échelle régionale, le Conseil de l’Europe a été à l’origine de la seule règle de droit international portant sur la manipulation des compétitions sportives[2]. À cet égard, il convient également de mentionner le très actif IPACS (International Partnership Against Corruption in Sport) créé par le Conseil de l’Europe et consistant en un réseau informel réunissant des organisations intergouvernementales, des organisations sportives internationales et des gouvernements pour coordonner la lutte contre la corruption dans le sport. Enfin, à l’échelle nationale, bien que des pays soient plus en avance que la France en matière de compliance sportive[3], les récentes actualités[4] ont mis en exergue les défaillances des instances sportives françaises.

 

En réponse à celles-ci, le Comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique, initiée par la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques a publié un rapport le 7 décembre dernier[5]. Les travaux de ce comité ont permis la formulation de 37 propositions afin de remédier aux dysfonctionnements des instances sportives françaises.

 

En parallèle, depuis le 20 juin 2023, la commission d’enquête créée à l’initiative du groupe Les Écologistes-NUPES a auditionné 193 personnes ou entités issues du mouvement sportif français avant d’aboutir à la publication d’un long rapport d’enquête. Ce rapport formule 62 recommandations organisées en deux parties : d’abord les défaillances systémiques, puis la lutte contre les violences, la haine et les discriminations.

 

À cet égard, il est intéressant de noter que le camp du gouvernement et celui des parlementaires se retrouvent sur plusieurs propositions/recommandations. Rapprochements heureux dont on doit souhaiter qu’ils aboutissent en un projet ou une proposition de loi portant sur l’éthique sportive du mouvement sportif français.

 

Ainsi, l’éthique sportive française se doit d’évoluer et, à cette fin, la commission d’enquête avance 62 recommandations portant tant sur la gouvernance des instances dirigeantes du mouvement sportif français (1) que sur le contrôle de l’activité des acteurs du sport (2).

 

 

1.     L’amélioration de la gouvernance des instances sportives

 

Dans le but d’améliorer la gouvernance des instances sportives françaises, la commission formule des recommandations ouvrant à un renforcement du contrôle étatique sur l’action fédérale notamment par un enrichissement des contrats de délégation (a). Le rapport mentionne également un besoin de consolidation des principes démocratiques dans les instances dirigeantes du sport français (b) tout en mentionnant le besoin d’une meilleure prise en compte des parties prenantes du mouvement sportif français (c).

 

a.     Le renforcement du contrôle étatique sur l’action fédérale

 

Bien que le législateur ait déjà été particulièrement actif dans le renforcement des exigences éthiques et déontologique imposées au mouvement sportif par les contrats de délégation[6] - actant dès lors une diminution de la liberté de fonctionnement des instances dirigeantes des fédérations sportives[7] - la commission d’enquête propose de repenser ledit contrat de délégation.

 

À titre préalable, il convient de rappeler que le contrat de délégation permet à la fédération de disposer de prérogatives de puissance publique et notamment d’être investie du pouvoir réglementaire qui leur permet d’édicter les règles techniques propres à leur discipline, et les règlements relatifs à l’organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés. Cette délégation est limitée à une durée de quatre ans et n’est attribuée que de manière discrétionnaire par le ministère des Sports qu’à une seule fédération par discipline sportive.

 

La commission d’enquête recommande d’étoffer ledit contrat de délégation en y ajoutant des clauses fixant des objectifs précis en matière d’éthique sportive[8]. À cet égard, elle propose d’intégrer un volet ambitieux de prévention des atteintes à la probité dans les contrats de délégation en visant tant les fédérations que les ligues professionnelles[9]. Dans le même sens, il est recommandé d’inscrire dans les contrats de délégation l’engagement du président de fédération à veiller au respect des obligations déclaratives auxquelles ils sont soumis[10].

 

Ces recommandations ne constituent qu’une mise à l’écrit d’obligations auxquelles les fédérations et leur instance dirigeante sont déjà soumises. En effet, la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi Sapin II recommande aux acteurs publics de se doter d’un dispositif anticorruption afin de prévenir les risques d’atteinte à la probité. La loi n°2017-261 du 1er mars 2017 impose aux membres de l’instance dirigeante d’effectuer des déclarations d’intérêt au comité d’éthique[11]. Bien que la pertinence de leur ajout dans le contrat de délégation puisse être interrogée, un contrat de délégation étoffé pourrait rendre plus courant le risque tout hypothétique de retrait de ladite délégation.

 

De plus, la commission d’enquête parlementaire propose d’inscrire dans les contrats de délégation l’obligation pour chaque fédération sportive délégataire d’instituer un observatoire des comportements[12] chargé de communiquer l’ensemble des signalements auprès d’une autorité administrative indépendante (ci-après « AAI »)[13]. Par ailleurs, le rapport invite à généraliser la création de commissions anti-discrimination et égalité de traitement (CADET) dans chaque fédération délégataire via les contrats de délégation[14].

 

L’ensemble du contrat de délégation devra être soumis à l’avis de l’autorité administrative indépendante chargée de l’éthique du sport[15]. Il est également recommandé de soumettre au contrôle de cette AAI la convention pluriannuelle d’objectifs afin de mieux contrôler et orienter l’action du CNOSF[16].

 

En plus de ces contrôles, la commission d’enquête recommande la publication annuelle d’un bilan précis du respect des textes susvisés et de l’exécution des contrats de délégation par les fédérations[17]

 

De manière plus étonnante, le rapport appelle à la rédaction d’une charte nationale définissant les « lignes rouges » à ne pas franchir – sans les préciser – et d’intégrer cette charte au règlement disciplinaire des structures sportives[18]. Le franchissement de ces « lignes rouges » devant conduire à des sanctions disciplinaires. Par une telle recommandation, la commission d’enquête tend à asseoir la position déjà particulièrement interventionniste de l’État en imposant des stipulations dans un texte fédéral.

 

Enfin, dans la lignée de ces recommandations touchant au contrat de délégation, la commission d’enquête propose de conditionner les subventions publiques à des engagements précis et vérifiés en matière éthique[19]. Il en est de même pour les subventions de l’Agence nationale du sport[20]. Cette recommandation semble particulièrement pertinente et répond à celles formulées par les organisations internationales[21].

 

b.    La consolidation des principes démocratiques des instances dirigeantes

 

En réponse à l’identification de défaillances dans la gouvernance des instances sportives, la commission d’enquête a proposé plusieurs mesures visant à renforcer la démocratie des instances dirigeantes des fédérations sportives.

 

D’abord, elle propose de revenir sur le mode de scrutin en recommandant un scrutin proportionnel[22] tout en souhaitant la participation directe de tous les clubs aux élections et aux assemblées générales des fédérations[23]. Sur ce dernier point, elle rejoint le rapport précité du 7 décembre dernier qui propose une implication plus importante des clubs dans les décisions des fédérations. On pourrait également souhaiter, à l’image de la prise en compte des parties prenantes dans les différentes décisions des entreprises, que soient également écoutées les instances représentatives des sportifs, et les organisations de supporter. Dans cette recherche d’une démocratie plus active, la commission recommande également l’intégration, dans les dispositions statutaires obligatoires, du principe du référendum fédéral permettant la consultation directe des clubs[24]. Enfin, le rapport recommande la limitation à trois mandats successifs maximum pour les dirigeants des fédérations[25].

 

Par ailleurs, la commission recommande l’établissement du principe de parité réelle dans tous les organes dirigeants du mouvement sportif ainsi que dans l’ensemble des commissions de discipline, et des comités d’éthique[26]. Cette mesure semble répondre au triste double constat des seules quatre femmes dirigeantes d’une fédération olympique ou paralympique et du faible pourcentage de femmes présidant une fédération agréée (16 %).

 

S’agissant des campagnes des candidats, le rapport appelle à un encadrement plus strict des déroulements de campagnes électorales via des garanties d’égalité de traitement des candidats[27].

 

Faisant suite aux auditions des différents dirigeants de fédération ayant fait réagir dans la presse[28], la commission d’enquête formule plusieurs recommandations visant à rationaliser leur rôle.

 

Ainsi, le rapport se concentre d’abord sur les liens entre directeur technique national (ci-après « DTN ») et directeur général. La commission propose ainsi la fin du cumul entre ces fonctions[29]. Le rapport recommande également la limitation de la durée de mandat des DTN à 8 ans afin de lutter contre les risques de conflit d’intérêts[30]. Enfin, les parlementaires souhaitent garantir l’indépendance des DTN en décorrélant la durée des contrats des DTN de celle du mandat des présidents de fédération.

 

La commission propose également la constitution de jurys de recrutement « aussi diversifiés que possible » pour les hauts postes de l’encadrement fédéral[31].

 

En outre de leur recrutement, le rapport recommande de mieux encadrer les rémunérations des dirigeants de fédérations et des organisateurs de grands événements sportifs[32]. À cette fin, il est proposé d’établir un système d’indemnisation fondé sur des critères clairs et transparents. Enfin, la commission souhaite conditionner l’accès à l’agrément et aux soutiens publics à une formation sur l’éthique des dirigeants et dirigeantes des fédérations et instances déconcentrées du mouvement sportif.

 

Enfin, la commission parlementaire entend mieux encadrer la fonction de conseiller technique sportif (ci-après « CTS »). D’une part, elle recommande d’inscrire dans le code du sport l’interdiction de s’engager dans des fonctions fédérales pendant trois ans après une mission de CTS[33]. D’autre part, le rapport propose de rationaliser leur rôle, d’abord en renforçant leurs dispositions déontologiques[34], puis en introduisant dans leur lettre de mission la lutte contre les violences et la préservation de l’éthique[35] et des sanctions en cas de non-respect de ladite lettre de mission. L’idée se rapproche alors du rôle d’ambassadeur des programmes éthiques des entreprises qui désignent des correspondants dans leurs branches afin d’avoir un relais de la politique éthique interne.

 

c.     La prise en compte élargie des parties prenantes : bénévoles et supporters

 

Le modèle sportif français se caractérise notamment par la grande part qu’occupe le bénévolat dans son fonctionnement quotidien. Ce modèle met alors en exergue le fossé entre un fonctionnement essentiellement bénévole et des rémunérations exorbitantes de dirigeants du sport français. Sur ce second point, après avoir sollicité la rationalisation des rémunérations de dirigeant, la commission parlementaire recommande également une plus grande transparence financière en exigeant la publication des comptes des fédérations[36]. Cette recommandation relève de l’évidence et l’absence actuelle d’accès aux comptes de délégataires de prérogatives publiques est particulièrement surprenante.

 

Afin de mieux encadrer le bénévolat dans les clubs amateurs, la commission propose de lancer une évaluation nationale de l’activité des bénévoles dans le sport et de former les encadrants bénévoles à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes[37]. Cette formation serait complétée par l’obligation de licence pour les intervenants réguliers au sein des clubs[38]. D’un point de vue plus répressif, la commission recommande de priver de la possibilité d’obtenir une licence d’encadrant les personnes reconnues coupables d’abus sexuels « particulièrement graves »[39]. Il apparaît plus raisonnable de souhaiter le transfert entre fédérations des sanctions ou des informations sur les mesures disciplinaires afin de limiter les risques de réitération dans une autre fédération[40]. Cet encadrement de l’activité bénévole devra alors être accompagnée d’une obligation de déclaration par les clubs des bénévoles afin de les soumettre au contrôle de l’honorabilité[41]. Cette dernière recommandation semble néanmoins peu concevable et particulièrement utopiste en ce qu’elle va à l’encontre du modèle bénévole fondé sur la liberté. Il conviendrait de reporter ce besoin de contrôle et de connaissance des bénévoles d’abord sur l’activité des clubs amateurs plutôt que sur celle des bénévoles. Mais là encore, une telle mission constitue un challenge immense.

 

De plus, le rapport se concentre sur les bénévoles de clubs professionnels en invitant à éviter systématiquement l’encadrement exclusif par un seul encadrant dans la prise en charge des athlètes[42].

 

Enfin, dans un sens, cette fois, favorable aux bénévoles, le rapport propose la création d’un statut officiel incluant la reconnaissance des acquis d’expérience et la comptabilisation de leur engagement dans les trimestres de retraite[43].

 

Par ailleurs, il est heureux de noter que la commission s’intéresse également au cas des supporters.

 

D’une part, le rapport recommande d’inscrire dans le code du sport le suivi obligatoire par les référents supporters d’un atelier de sensibilisation à la lutte contre le racisme et les discriminations, préalablement à leur désignation[44]. De plus, la commission souhaite conditionner l’agrément d’une association de supporters au suivi, par tous ses membres, d’un atelier de sensibilisation à la lutte contre le racisme et les discriminations[45]. Ces propositions courageuses répondent aux déboires nombreux entachant notamment les récents matchs de football.

 

D’autre part, le rapport propose un lot de mesures répressives à l’encontre des supporters. Ainsi, en cas d’incident haineux ou discriminatoire, la commission recommande d’ouvrir la possibilité d’interruption, temporaire ou définitive, de rencontre sportive[46] et de retransmission audiovisuelle[47]. De plus, la commission souhaite sanctionner systématiquement les actes et propos haineux et discriminatoires dans les stades de football par la fermeture de tribune[48]. Cette systématisation de la sanction et sa généralisation à l’ensemble des spectateurs et téléspectateurs ne semblent pas adaptées à notre système pénal fondé sur l’individualisation des sanctions. Il semble préférable de renforcer les moyens permettant l’identification et la sanction des responsables de tels incidents[49].

 

En ce sens, il n’est pas plus préférable d’offrir au préfet, n’étant pas une autorité judiciaire compétente pour sanctionner des faits de nature pénale, la possibilité de prononcer des interdictions judiciaires de stade et des interdictions administratives définitives en cas de récidive[50]. D’autant plus que le prononcé de sanctions permanentes ne correspond pas plus à notre système pénal.

 

A contrario, il est souhaitable de renforcer le contrôle à l’entrée des stades par la mise en place obligatoire de titres d’accès nominatifs, dématérialisés et infalsifiables aux manifestations sportives exposées, par leur nature ou par leurs circonstances particulières, à un risque de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination[51].

 

En tout état de cause, ces différentes recommandations proposent de mieux cadrer la gouvernance actuelle du mouvement sportif français. Cependant, la mise en place d’un tel cadre ne pourra être efficiente que par la mise en place de contrôles eux aussi efficients.

 

2.     Le renforcement du contrôle des démarches éthiques des instances sportives

 

Afin d’assurer un meilleur contrôle des démarches éthiques des instances sportives et de les inciter à en conduire, la commission propose de s’appuyer sur les systèmes existants en les développant (a) mais surtout elle recommande la création d’une autorité administrative indépendante en charge de l’éthique sportive (b).

 

a.     Le développement des moyens et des missions des instances existantes

 

Parmi les instances existantes en charge du contrôle éthique de l’action des fédérations, le rapport d’enquête recommande de renforcer les moyens et de développer les missions des comités d’éthique rattachés aux fédérations (i) et des services ministériels (ii).

 

                                          i.     L’extension et le renforcement des comités d’éthique

 

Les comités d’éthique rattachés aux fédérations ont été rendus obligatoires pour les fédérations délégataires par la loi n°2017-261 du 1er mars 2017[52]. Ils sont indépendants et en charge de s’assurer du respect de la charte d’éthique et de déontologie[53] et de la prévention des conflits d’intérêts.

 

La commission d’enquête recommande l’extension de ces comités d’éthique aux fédérations agréées ainsi qu’au Comité national olympique du sport français et au Comité paralympique du sport français[54]. Une telle extension serait bienvenue tant les comités d’éthique actuels semblent pouvoir être efficaces[55].

 

Afin de renforcer leur légitimité, le rapport propose d’établir des modalités claires de désignation des membres des comités d’éthique ainsi que des règles d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêts[56].

 

Par ailleurs, il apparaît indispensable de préciser les attributions et les modalités de fonctionnement de ces comités. En ce sens, la commission recommande d’y intégrer les missions d’élaboration de la charte d’éthique de la fédération, des pouvoirs d’enquête et une capacité d’autosaisine, la proposition de sanctions aux organes disciplinaires compétents, la réception d’alertes ou encore, la rédaction d’un rapport d’activité annuel[57] rendus publics[58]. En somme, ces missions sont déjà remplies par certains comités d’éthique comme celui de la fédération française de tennis qui a récemment publié son rapport annuel d’activité. Les institutionnaliser permettrait de les rendre systématiques. Il convient néanmoins d’intervenir dans la clarification de l’articulation entre les missions des comités d’éthique et celles des fédérations qui traitent également en interne de questions relatives à l’éthique. Une absence de clarté des canaux de signalement engendre de facto une illisibilité réfrénant l’élan de potentiels lanceurs d’alerte.

 

Enfin, et cela constitue une recommandation centrale rendant possibles les précédentes, la commission propose de doter lesdits comités de ressources financières propres et d’un secrétariat indépendant[59].

 

À titre subsidiaire, il convient de s’interroger sur ce modèle de comité externe en ce qu’il va être moins susceptible d’insuffler une culture éthique interne. Ce modèle pourrait également trouver ses limites si la politique interne de la fédération se détache de celle menée par ledit comité. En tout état de cause, ce modèle présente des limites qu’il conviendra de repousser, mais reposer le développement de l’éthique sportive sur des modèles existants semblent être un bon moyen d’obtenir des résultats rapides.

 

                                        ii.     La clarification et le renforcement des missions des services ministériels

 

Parmi les services du ministère des Sports en partie dédiés à l’éthique sportive, il convient de mentionner l’action – encore trop timide – de l’inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (ci-après « IGESR »). À cet égard, le rapport mentionne le fait que la fédération française de football n’a fait l’objet d’aucune inspection entre 1995 et 2022.

 

En réponse à ce faible engagement de l’IGESR, la commission recommande un renforcement de ses moyens afin que soient menés des contrôles plus fréquent et approfondis[60]. De manière générale, le rapport préconise une augmentation des moyens tant humains que financiers pour améliorer la conduite des enquêtes administratives des services déconcentrés départementaux de l’engagement de la jeunesse et des sports[61] et de la direction des sports[62]. De plus, il est demandé que l’IGESR produise un bilan annuel de son activité de contrôle[63].

 

Un tel renforcement permettrait alors l’efficience de la mission d’inspection chargée de réaliser un état des lieux précis et complets du contrôle de l’honorabilité auquel sont assujettis les acteurs du sport[64].

 

Enfin, la commission d’enquête recommande la mise en place d’une commission nationale d’établissement des faits de violences dans le sport afin notamment d’identifier les responsabilités de ceux qui ont eu connaissance d’abus et n’ont rien dit, et de les écarter de leurs responsabilités[65].

 

Le renforcement des moyens et des missions des instances existantes est à louer, mais il semble inévitable qu’un renforcement du contrôle des démarches éthiques des instances sportives françaises passe par la création d’une autorité administrative indépendante.

 

b.    La création d’une autorité administrative indépendante chargée de l’éthique sportive

 

Malgré la regrettable « farouche opposition » de la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques à la création d’un organe indépendant en charge de l’éthique sportive[66], la commission d’enquête recommande la création d’une autorité administrative indépendante qui semble particulièrement bienvenue dans le contexte actuel[67].

 

La commission propose que cette AAI soit chargée de l’éthique du sport et qu’elle dispose de pouvoirs d’élaboration de normes, d’évaluation, de contrôle, et de sanction des acteurs du sport[68].

 

Cette instance pourra alors élaborer des normes minimales devant obligatoirement figurer dans les chartes éthiques et de déontologie des fédérations, du Comité national olympique du sport français et du Comité paralympique du sport français[69]. En ce sens, lesdites normes minimales rédigées par l’AAI viendraient se substituer à l’actuel modèle de charte éthique du Comité national olympique du sport français qui est utilisé pour la rédaction des chartes éthiques des fédérations. À cet égard, le rapport mentionne la nécessaire création de dispositifs internes efficaces et précis en matière de prévention de la corruption et en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

 

Par ailleurs, la commission tient à confier à cette autorité administrative indépendante des missions de sensibilisation et d’accompagnement des victimes, et de coordination de l’action des associations intervenant dans le champ de la lutte contre les violences[70].

 

Plus encore, il est souhaité que lui soit transférée la compétence disciplinaire des fédérations en matière de lutte contre les violences[71]. Cependant, à l’image du constat de risque de disparition d’une culture éthique interne aux fédérations par l’utilisation exclusive de comités d’éthique externes aux organisations, vider en partie de sa substance le pouvoir disciplinaire des fédérations n’est pas souhaitable. Cela contribuerait à la fois à ne pas mobiliser les fédérations sur ces risques, et à effacer le besoin d’autonomie de l’ordre sportif au bénéfice d’un ordre étatique omniprésent.

 

L’autorité administrative indépendante aura également des missions de contrôle des acteurs du sport. Ainsi, la commission souhaite qu’elle contrôle l’exécution de la convention pluriannuelle d’objectifs conclue entre le Comité national olympique du sport français et le ministère[72]. Le rapport mentionne également un contrôle du règlement financier des fédérations et la mise en œuvre de la publicité des comptes des fédérations[73].

 

À l’image d’une Agence Française Anticorruption du sport, l’AAI serait en charge du contrôle de la mise en place des dispositifs de la loi Sapin II précitée. À cet égard, elle serait notamment en charge de centraliser un dispositif de signalement anticorruption en assurant une protection efficace des lanceurs d’alerte[74]. La commission souhaite que soit élargi le périmètre de la cellule Signal-sports à l’ensemble des faits de racisme et de discrimination commis dans le champ du sport et que cette cellule soit confiée à la responsabilité de l’AAI[75]. Plus encore, le rapport mentionne le besoin de suppression des outils de signalement internes aux fédérations[76].

 

Ces recommandations liées aux dispositifs de signalement semblent en total décalage avec les constats qui peuvent être effectués dans le monde économique. La promotion d’une plateforme unique de signalement est l’assurance d’un échec comme l’a si bien démontrée la cellule Signal-sports. Une plateforme centralisée n’est pas adaptée au système de signalement et encore moins au modèle sportif français. Qui peut imaginer qu’un bénévole développe le réflexe de signaler des incidents à la plateforme centralisée ? Il semble plus probable que ce dernier mobilise d’abord les canaux internes de son organisation en mobilisant les dirigeants locaux de son club et/ou de la ligue – à l’image de ce que promeut la loi Sapin II dans le traitement des alertes. Une telle centralisation reviendrait à imaginer que puisse exister une seule plateforme anticorruption commune à toutes les entreprises françaises, tout secteur confondu. Cette recommandation relève à la fois de l’utopie, mais également d’une méconnaissance profonde de ce qui constitue l’efficience du traitement des alertes dans le monde économique. Par ailleurs, le traitement des alertes permet une meilleure connaissance des failles d’un programme d’éthique, alors sans regard sur leur programme interne, les fédérations ne pourraient simplement pas le faire évoluer et n’avoir qu'une connaissance imparfaite de celui-ci. Il semble préférable que chaque fédération dispose d’un dispositif d’alerte. Ce dispositif pourra être géré par les comités d’éthique qui auront la responsabilité d’informer l’AAI en cas de contrôle. Privilégions les modèles qui fonctionnent ailleurs plutôt que de s’en affranchir pour promouvoir des systèmes qui ne fonctionnent pas ici.

 

La commission recommande également d’attribuer à cette AAI des pouvoirs de sanctions des fédérations. Ainsi, une fédération ne respectant pas ses obligations éthiques pourra être sanctionnée financièrement[77]. Le rapport ajoute qu’il serait souhaitable que l’AAI puisse prononcer des sanctions aux personnes physiques en prononçant des mesures comme l’inéligibilité ou la suspension conservatoire de dirigeants fédéraux ou la convocation d’une assemblée générale de la fédération pour statuer sur la révocation d’un dirigeant mis en cause[78].

 

Plus encore, sur le modèle de l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AAI en charge de l’éthique du sport devra disposer d’un pouvoir de régulation des procédures disciplines internes des fédérations et de leurs ligues professionnelles, du Comité national olympique du sport français et du Comité paralympique du sport français[79].

 

Enfin, il est attendu de cette autorité administrative indépendante qu’elle soit capable de présenter un bilan annuel des signalements lors de la convention nationale pour la prévention des violences dans le sport[80].

 

Par ailleurs, la commission recommande que cette AAI soit en charge d’une mission de renforcement de la collaboration avec les services de la justice[81]. Cette recommandation pourra alors permettre de systématiser les échanges d’informations et de traitement des dossiers entre l’autorité judiciaire et les services déconcentrés de l’État. À cet égard, le rapport mentionne le besoin de désignation d’un magistrat référent sport dans la totalité des parquets[82] pouvant permettre aux fédérations de recourir de manière plus systématique aux instances pénales[83]. Tout comme la spécialisation de services de police, cette recommandation semble bienvenue pour les praticiens du droit et permettra une meilleure efficience dans le déroulement des enquêtes. À cette même fin, la commission recommande une facilitation de l’ouverture à la consultation du bulletin B2 du casier judiciaire pour les fédérations dans le cadre de l’attribution de licence[84].

 

En tout état de cause, le cœur de ces recommandations repose sur la nécessaire création d’une autorité administrative indépendante chargée de l’éthique du sport. Malheureusement, et quand bien même d’autres pays ont fait ce choix, cette avancée ne semble pas d’actualité selon les communications ministérielles. Nous ne pouvons que le regretter tout en notant que le rapport du 7 décembre 2023 invitait le ministère à une même évolution.

 

Ces recommandations ne sont que des lignes supplémentaires s’ajoutant dans la liste des mesures de bonne gouvernance du sport, en espérant qu’elles soient, cette fois, suivies d’effets.


[1] De la résolution 5/4, 29 novembre 2013, Suivi de la Déclaration de Marrakech en faveur de la prévention de la corruption au récentes productions de l’ONUDC avec la dernière en date : Legal approaches to tackling bribery in sport, 23 octobre 2023.

[2] Convention de Macolin, 13ème Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables du sport – Macolin/Magglingen, Suisse, 18 septembre 2014, entrée en vigueur le 1er septembre 2019 – non ratifiée par la France.

[3] V. notamment l’Australie qui a créé en 2020 la Sport Integrity Agency combinant l’ancienne autorité australienne de lutte contre le dopage et l’ancienne unité nationale d’intégrité du sport.

[4] V. notamment les affaires liées à la FFF : https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/18/fff-entre-inspection-administrative-et-enquete-judiciaire-noel-le-graet-cerne-par-les-affaires_6158276_3224.html ; ou encore celles liées à la FFR : https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/12/18/rugby-condamne-pour-corruption-bernard-laporte-refuse-de-quitter-son-poste-de-president-de-la-federation_6154894_3242.html.

[5] Retrouvez notre analyse de ce rapport : https://www.agenceethiquesportive.fr/articles/la-compliancenbsp-nouvelle-discipline-de-la-vie-associative-sportive-franaise.

[6] V. notamment la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République qui conditionne l’attribution de l’agrément des fédérations au respect d’un contrat d’engagement républicain.

[7] V. notamment la loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France qui réorganise la délégation de pouvoir de l’État aux fédérations.

[8] Recommandation n°2.

[9] Recommandation n°23.

[10] Recommandation n°25.

[11] Articles L.131-8 et L.132-2 du code du sport.

[12] Recommandation n°50.

[13] V. infra 2. b.

[14] Recommandation n°52.

[15] Recommandation n°2.

[16] Recommandation n°15.

[17] Recommandations n°5 et n°14 pour un bilan post-JO 2024.

[18] Recommandation n°43.

[19] Recommandation n°6.

[20] Ibid.

[21] V. notamment : Conseil de l’Europe, Recommandation CM/Rec(2018)12, Promotion de la bonne gouvernance dans le sport, Comité des Ministres, 12 décembre 2018.

[22] Recommandation n°20.

[23] Recommandation n°19.

[24] Ibid.

[25] Recommandation n°20.

[26] Recommandation n°17.

[27] Recommandation n°20.

[28] V. notamment https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/01/16/federations-sportives-sept-dirigeants-vises-par-des-enquetes-pour-faux-temoignages-au-parlement_6211142_3242.html

[29] Recommandation n°8.

[30] Recommandation n°16.

[31] Recommandation n°21.

[32] Ibid.

[33] Recommandation n°9.

[34] Recommandation n°10.

[35] Recommandation n°11.

[36] Recommandation n°22.

[37] Recommandation n°18.

[38] Recommandation n°38.

[39] Ibid.

[40] Recommandation n°37.

[41] Recommandation n°38.

[42] Recommandation n°43.

[43] Recommandation n°18.

[44] Recommandation n°55.

[45] Recommandation n°56.

[46] Recommandation n°37.

[47] Recommandation n°58.

[48] Recommandation n°59.

[49] V. notamment en ce sens https://www.lyoncapitale.fr/actualite/de-la-prison-ferme-requise-contre-deux-supporters-de-lol-apres-des-saluts-nazis

[50] Recommandation n°62.

[51] Recommandation n°60.

[52] Article L.131-15-1 du code du sport

[53] Article L.141-3 du code du sport.

[54] Recommandation n°27.

[55] V. notamment le récent rapport annuel d’activité 2023 du comité d’éthique de la Fédération française de tennis.

[56] Recommandation n°27.

[57] Ibid.

[58] Ibid.

[59] Ibid.

[60] Recommandation n°3.

[61] Recommandation n°13.

[62] Recommandation n°12.

[63] Recommandation n°5.

[64] Recommandation n°38.

[65] Recommandation n°49.

[66] V. notamment https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/Pourquoi-le-ministere-des-sports-est-oppose-a-la-creation-d-une-autorite-administrative-independante/1444348

[67] Recommandation n°7.

[68] Recommandations n°7 et n°28.

[69] Recommandation n°28.

[70] Recommandation n°36.

[71] Recommandation n°37.

[72] Recommandation n°15.

[73] Recommandation n°22.

[74] Recommandation n°24.

[75] Recommandation n°31.

[76] Ibid.

[77] Recommandation n°7.

[78] Recommandation n°29.

[79] Recommandation n°28.

[80] Recommandation n°31.

[81] Recommandation n°33.

[82] Recommandation n°35.

[83] Recommandation n°46.

[84] Recommandation n°39.

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